Les Métaboles livrent une prestation électrisante, véritable tour de force qui déchaîne l’enthousiasme du public.

31/01/2022
ConcertClassic - Laurent Bury
Singing Ravel

Singing Ravel  par les Métaboles à l'Arsenal de Metz - Transcrire... toute leur âme est là

Lorsqu’on est chef de chœur et que l’on veut faire chanter du Ravel à son ensemble, le bilan est vite fait : l’auteur de Daphnis et Chloé a laissé à peine dix minutes de musique pour chœur a cappella, les Trois Chansons de 1915, dont il avait également écrit les textes. Léo Warynski (photo) a donc naturellement mis cette œuvre au centre du programme « Singing Ravel » que Les Métaboles ont créé l’été passé lors des Rencontres de Vézelay. Trois pièces assez courtes mais contrastées, un triptyque où deux volets comiques encadrent le nettement mélancolique « Trois beaux oiseaux de paradis », qui inclut l’intervention d’un soprano solo (bravo à Lorraine Tisserant !).
Restait à trouver tout le reste, en faisant appel aux travaux de ces bonnes fées des ensembles vocaux que sont les transcripteurs. « Singing Ravel » donne à entendre quatre d’entre eux, chacun ayant sa propre manière d’aborder l’exercice, en fonction de sa personnalité.

On sait l’amour de Gérard Pesson pour Ravel, compositeur dont il est proche par son goût de la concision et des alliances de sonorités inattendues. On lui doit une version chorale d’une mélodie assez rare, « Ronsard à son âme » (1924), et surtout la transcription de deux des trois parties de Shéhérazade : omettant « Asie » (trop long, peut-être), il s’est directement attaqué à « La Flûte enchantée » – où l’on admire particulièrement la prestation virtuose d’Anne-Claire Baconnais, se substituant à la flûte – et à « L’Indifférent ».
 
Thierry Machuel, lui n’a retenu que deux des cinq pièces formant  Ma Mère l’Oye : la « Pavane de la Belle au bois dormant » et « Le jardin féerique » (cette dernière pièce donnait son nom au dernier disque des Métaboles, sorti en 2020).(1) Pourquoi celles-là, et pas « Laideronnette » ou les « Entretiens de la Belle et de la Bête », par exemple ? Peut-être les deux autres se prêtaient-ils mieux à la mise en voix. Il a aussi fallu trouver un texte à mettre en musique, et Thierry Machuel a eu la chance de pouvoir compter sur Gérard Richter pour lui écrire sur mesure un poème adapté aux contours de la partition.

Le même problème a été habilement résolu pour la transcription de « La Vallée des cloches », cinquième des Miroirs : pour passer du piano à la voix, c’est un poème de Verlaine qu’a utilisé Clytus Gottwald. Ce compositeur et musicologue allemand né en 1925 a une façon extrêmement personnelle de concevoir l’exercice de la transcription, avec un résultat assez stupéfiant, comme c’est aussi le cas pour « Soupir », le premier des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, et surtout pour « Toi, le cœur la rose », bref passage de L’Enfant et les sortilèges, mélodie d’une grande simplicité et que l’orchestre laisse presque à nu dans l’opéra, mais qui, dans la transcription, se transforme et acquiert un scintillement étonnant en étant éclaté entre les 12 voix de femmes réunies pour l’occasion.

Enfin, pour compléter ce programme, Léo Warynski a commandé deux transcriptions nouvelles à Thibault Perrine, dont on connaît notamment le travail de réduction sur des partitions d’opérette pour Les Brigands. La Pavane pour une infante défunte a parfois un peu de mal à s’accommoder du texte de la célèbre Pavane de Thoinot Arbeau, mais on reste bluffé par la version du Boléro imaginée par Thibault Perrine, qui a recours à toutes sortes d’onomatopées, de sifflements, de frappements de pied et de claquements de mains pour traduire vocalement les effets orchestraux de Ravel. Les Métaboles livrent une prestation électrisante, véritable tour de force qui déchaîne l’enthousiasme du public ; les chanteurs en reprendront même les ultimes minutes en guise de bis, suscitant la même euphorie.