Au plus haut niveau de qualité

05/10/2023
Classica - Jacques Bonaure
Le Moine et le Voyou

Emportée par la baguette de Léo Warynski, la parole liturgique confronte l’absurde. Le face à face Poulenc-Cavanna crée le choc.

En distinguant chez Poulenc deux tendances contradictoires, le moine et le voyou, Claude Rostand aura formulé un bon mot durable quoiqu’un brin exagéré. Ici de Poulenc, on n’aura que l’aspect moine, le voyou étant incarné par Bernard Cavanna. Le programme semblera peut être étrange ; quel rapport entre les polyphonies de Poulenc, profanes (Un soir de neige, sur des poèmes d’Éluard) ou sacrées (Motets pour un temps de pénitence, Exultate Deo) et la Messe un jour ordinaire (1994) ? C’est que ces œuvres sont nées d’un choc. Chez Poulenc, c’est le retour à la foi de ses pères, consécutive à la mort de son ami Pierre-Octave Ferroud (Motets) ou celui de la pénible période qui suit la fin de l’occupation et précède la fin de la guerre (Un soir de neige). Chez Bernard Cavanna, la confrontation entre le discours rituel, grandiose et hautain du propre de la messe, et l’humble parole de Laurence, une jeune SDF sortant de prison et atteinte du sida, dont les propos ont été transcrits sans filtre. La parole liturgique, dont le trimophalisme s’emballe jusqu’à l’absurde, semble à la fin se fracasser contre celle de Laurence, entre sprechgesang, déclamation brisée et vocalise acrobatique. À la fin la douceur d’un bref poème de Nathalie Mécano, composé quelques jours avant sa mort, apporte un pathétique apaisement. La Messe un jour ordinaire est une oeuvre d’une originalité saisissante qui crée une dramaturgie terriblement efficace. La présente version diffère de l’original par l’adjonction d’une toccata introductive et la réécriture de nombreux détails. Cette première version avait été enregistrée en 1998 par l’Ensemble vocal de la région Poitou-Charentes et Art nova, sous la direction de Philippe Nahon (MFA-Radio France)

À ce jour, Léo Warynski et Les Métabolise ont réalisé 6 CD, et travaillé dans des directions très différentes, mais toujours au plus haut niveau de qualité, quelle que soit la nature de la musique - et il y a loin entre les lumineuses polyphonies de Poulenc et l’agressive matière sonore de Cavanna. Mais toujours la mise en place est d’une précision infinie, les intonations, même sur des notes très aiguës, toujours nettes. Il en va de même pour l’ensemble instrumental Multilatérale, dans la Messe ou l’on entendra le violon bouleversant de Noemi Schindler et la merveilleuse Isa garde aussi brillante que dans la précédente version, dans le « rôle » de Laurence.