Alignement de planètes à La Filature
Variations autour de l'harmonie : tel est l'intitulé du deuxième épisode de la carte blanche donnée par La Filature de Mulhouse à Jacqueline Caux, pionnière du militantisme pour les musiques inédites, dont le minimalisme américain. Un combat de plus d'un demi-siècle adoubé ce soir par des interprètes français en état de grâce : le Quatuor Diotima et Les Métaboles de Léo Warynski.
Est-ce pour signifier que cette œuvre de la première période du compositeur américain le précède d'une année, qu'après l'entracte, une note grave à l'orgue accueille, le spectateur à son retour dans la salle comme Einstein on the beach dès 1976 ? La disparition de cet émouvant clin d'œil laisse place à l'apparition d'une chanteuse puis de deux, et ainsi jusqu'à 18 (l'effectif des Métaboles), chacune et chacun étant convié à la superposition de la mélodie du Canon à 16 voix (Canone a 16 all' unisono) d'Andrea Basily, qui refermait le disque récemment sorti : judicieusement placées en ouverture, ses neuf minutes font figures d'introduction idéale aux cinquante d'Another Look at Harmony. Bien que geste ultime de la naissance d'un style plus que d'un système, Another Look at Harmony, en plus de rappeler que, dès le début, Glass s'est immédiatement intéressé à la voix humaine (à tous les sens du terme), laisse deviner la tentation mélodiste qui s'exprimera à nu et sans complexes dans moult numéros d'Einstein. Des minimalistes programmés par Jacqueline Caux (rappelons qu'elle et son époux, cités par Glass lui-même dans ses mémoires, Paroles sans musique, comme ses « premiers amis français », ont été les premiers à avoir invité le compositeur en France dans le cadre du Festival d'Automne 1973), Glass est le seul à avoir osé affronter le retour de la mélodie dans un XXe siècle qui croyait que tout avait été dit à ce sujet. C'est d'ailleurs très certainement ce qui explique son succès planétaire, un succès dont se réjouit également Léo Warynski, qui connaît son affaire depuis qu'il a dirigé Akhnaten (et va diriger Satyagraha) à Nice.
Il est aujourd'hui difficile de résister, plus encore qu'au disque, à l'émotion qui s'installe dès les premiers battements, via l'abandon gracieux des voix masculines, d'un style reconnaissable entre mille, à l'élan progressif de l'irrésistible Section 2 d'une partition dont quasiment tous les numéros défilent en fondu-enchaîné. L'auditeur fond lui aussi à l'écoute de la juvénilité inaltérable des timbres, du toucher gracieux de Yoan Héreau à l'orgue, au diapason du visuel synergique (entre ouïe et vue) proposé par Céline Diez, Clément Debailleul et le conseil artistique de Jeanne Crousaud. Faisant face au cosmos de trois planètes sous influence de crescendo orgiaque des voix, et à l'aréopage de ses chanteurs habillés par Camille Pénager de fascinantes et longues aubes noires et cendres, Leo Warynski cadre, comme on croyait que seul un Michael Riesman savait le faire, la mécanique d'un mini-oratorio d'onomatopées et de chiffres, où le compositeur (qui finira par engendrer 25 opéras !) semble encore à la recherche du mot. Another Look at Harmony semble ne poser de problème à personne alors que, comme nous l'a confié une interprète, « la seule question est juste de savoir quand reprendre son souffle ».